Une histoire rétrofuturiste du jazz

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Cet article est utilisé comme aide de jeu du scénario « It don't mean a thing if you ain't got that swing ».

Les éléments développés ici ont pour but de fixer les idées en ce qui concerne cette musique que l'on ne peut entendre (de manière correcte) qu'au prix d'une excursion dans la marge, le plus souvent dans les clubs de la Cosa Nostra et/ou du Syndicat. Le jazz sera présenté ici comme une musique subversive, à l'instar du rock 'n' roll, mais accessible dans une version épurée et assagie au possible aux agents les plus haut placés lors de soirées chic ou de cocktails.

Ce qui est raconté ici ne se veut ni exhaustif, ni le plus juste qui soit, les raccourcis (et amalgames) y sont sûrement nombreux et très vite l'histoire du jazz dans Rétrofutur s'éloigne de celle de not' bonne vieille Terre. Il ne faut pas croire non plus que le jazz ne soit présent que dans les villes indiquées. Il vaut mieux les voir comme des foyers, sorte de Mecque de cette musique. Il est probable que, d'une certaine manière, la Résistance (ou des Résistants avant l'heure) ait mis les doigts dans tout ça, bien que nous n'en parlions pas.

1619-1860

La déportation de milliers d'esclaves noirs Africains, déracinés et coupés de leur culture est considéré comme l'origine (lointaine et douloureuse) du jazz. À son arrivée aux États-Unis, chaque esclave était débaptisé de son nom d'origine puis revendu, entraînant ainsi l'éclatement des familles et des tribus. L'emploi de musiques aux sonorités proches permettait aux expatriés de se retrouver autour d'une identité commune. Dans certaines régions, la majorité des instruments africains étaient interdits, ce qui laissait comme seuls moyens d'expression le chant, la gestuelle et la danse (le banjo aussi, ayant étonnamment échappé aux interdictions). La religion prête à accueillir toutes ces âmes en détresse constitua un refuge pour la population noire (premier baptême attesté en 1641). La musique varia alors entre les chants de travail, les cris des champs, les chants plaintifs et les negro spirituals. Entre autres caractéristiques principales, une grande importance fut donnée à l'expression corporelle et à l'improvisation individuelle au beau milieu de chants à structure collective.

1860-1910

Cet été là, le contact est annoncé au monde entier. Parmi les décisions prises afin de se lancer sur la voie pointée par les Étrangers, l'esclavage est universellement aboli. Cette annonce est loin de faire l'unanimité parmi les états d'Amérique du Nord. Associée aux différences de mentalité entraînées par l'industrialisation plus rapide des États du nord, les États du sud font sécession, décidant de se lancer dans leur Quête de l'Absolu en suivant un autre schéma. Cette scission annonce la création des UAA (nord) et des CAA (sud). Loin de se lancer dans une guerre sans fin, les deux nouveaux pays décident de se refermer sur eux-mêmes. Les UAA accouchent de lois ségrégationnistes à l'encontre de sa population noire, le Ku Klux Klan apparaît et va devenir de plus en plus influent jusqu'à sa prise de pouvoir de 1910. Les rapports entre les deux nations se durcissent allant jusqu'à l'érection d'une immense séparation : le mur des Amériques.

C'est lors de cette période que le jazz va peu à peu prendre sa forme actuelle, aux CAA et plus particulièrement dans les quartiers de la Nouvelle-Orléans (en fait durant cette période, et le temps que le cloisonnement se fasse, beaucoup de musiciens voyagent et le proto-jazz avec). L'importance de la Nouvelle-Orléans dans le développement de la musique jazz vient principalement du mélange de la population noire et de la population créole (fruit des amours de grands propriétaires terriens et de certaines de leur esclaves). En effet, certains créoles ont accès à une éducation occidentale dont la musique fait partie. L'utilisation d'instruments de musique occidentaux se transmet aux chanteurs dans un joyeux mélange musical. Dans les quartiers noirs attenants à certains quartiers de débauche (maisons closes, cabarets…) apparaissent le ragtime et finalement ce que l'on appellera le jazz. Bien que cela ne soit pas vrai, une légende attribue la création du jazz à un certain Jelly Roll Morton qui, jouant dans un lupanar (pour couvrir les bruits des divers visiteurs) devait le faire de la manière la plus douce possible de sorte à ce que ses notes inspirent les clients au lieu de les excéder.

En 1910, le Ku Klux Klan devient l'organe officiel du pouvoir aux CAA, la prohibition est déclarée et une grande purge des quartiers indiqués plus haut est organisée.

1910-1920

C'est grâce au concours d'hommes d'affaires pas du tout désintéressés que les musiciens et leur musique purent quitter l'impasse dans laquelle ils se trouvaient. Issus de Cosa Nostra mais isolés en cette période de doute quand à la survie de la Pieuvre, un groupe d'hommes et de femmes, s'étant fait une très haute idée (un peu surestimée) des bénéfices à faire avec cette nouvelle musique, organise le migration de musiciens vers les villes du nord, principalement Chicago, New-York et Paradise dans une moindre mesure. Là-bas, salles d'enregistrement clandestines, clubs et casinos les attendent. Plusieurs galettes sont d'abord produites puis, après une campagne de publicité rondement menée, des clubs apparaîtront. Durant cette période, le jazz reste figé dans un style dit « Nouvelle-Orléans », très dansant, les musiciens n'étant pas vraiment libres de jouer ce qu'ils veulent. Les mafiosi veillent au grain. Certains s'enfoncent un peu plus dans la marge et le mouvement égaré en coupant tout contact avec la Cosa Nostra (ce qui n'ira pas sans provoquer de nombreux drames).

1920-1930

Le jazz devient plus instrumental, toujours plus raffiné. Les premiers cabarets dansants ouvrent et des danseurs bourrés d'énergie (souvent très peu habillés) mènent les revues. Le cake-walk, le twist, le boogie-woogie sont de mode et font fureur.

Deux facteurs d'origine différente (mais assez facile à identifier) vont renforcer la clandestinité du jazz. Tout d'abord une mafia en pleine réorganisation ne tient pas à laisser partir la poule aux œufs d'or. En particulier, les Tattaglia ayant récupéré le concept en se débarrassant manu militari des découvreurs, l'importent (toujours clandestinement) en Europe [1], où l'industrie de l'édition du livre prend son essor [2]. Le second est l'intervention du Système, qui rejette cette musique comme étant propice au développement sur la voie tracée par les Étrangers. Un agent médecin de haute volée écrira un long rapport à la fin des années 20 rapprochant « jazz » et promiscuité sexuelle (il n'y a qu'à voir le nombre d'interprétations sexuellement orientées de l'origine du mot !). Il conclura son rapport en ces termes : « le jazz intoxique autant que le whisky et éveille de fortes passions animales qui détournent l'Homme du credo des Étrangers et de son idéal ».

1930-1940

L'effacement des structures étatiques devant le système titanopolitain et le poids des agences centrales se fait de plus en plus sentir. Les agences sont depuis bien longtemps le premier employeur du monde [3]. Les agences liées au contrôle se font de plus en plus zélées.

C'est la grande époque des orchestres de jazz ; ils sont nombreux à se produire et à donner du swing aux soirées de la marge. Faire danser le public est un objectif majeur, peu difficile à atteindre pour des musiciens pour qui « quelqu'un n'ayant jamais dansé de sa vie ne peut pas être un bon joueur de swing ». Les concerts se font spectacles : il arrive souvent que certains pupitres se mettent à danser et à faire les pitres sur scène pour ajouter à l'ambiance. La figure de la chanteuse de jazz se popularise dans les clubs cherchant des ambiances plus intimistes ou à attirer une clientèle de niveau social plus élevé et que l'on ne veux pas trop brusquer.

1940-1952

Le début des années quarante marque un tournant dans le monde. P. Laval, président du conseil français reconnaît l'agence centrale Europolitaine, la France n'est plus, vive l'Europole ! Le mouvement va se généraliser à travers le monde. Les négociations s'engagent entre les États et les agences, les titanopoles se spécifient et le contrôle se resserre.

En UAA, en plus du poids de la Cosa Nostra, celui du contrôle et du système s'ajoute. De nombreux clubs ferment faute de clients. Les administrés ont de moins en moins de temps à consacrer à leur loisirs, maintenant officiellement non Réglementaire. Aux changements de la vie de tous les jours auxquels il faut se faire, s'ajoutent les rafles et les arrestations. Les Étrangers ne sont pas encore là ? Mais bien sûr mon bon monsieur, vous ne pensiez que l'on allait les faire venir attirés par nos sociétés si désorganisées !

Sur le continent nord-américain, une seule destination semble convenir pour les musiciens, hommes et femmes de spectacle de tout bord : Paradise, la destination idéale pour administrés en vacances. La migration vers la côté ouest est très organisée, la Cosa Nostra veille toujours au grain mais s'est renforcée depuis et les Tattaglia sont expérimentés. Les différentes étoiles du jazz sont attendues avec impatience dans la titanopole des loisirs.

Sur place, la même routine s'installe. Swing, boogie-woogie, hot et classical jazz. Le public doit danser. Et quel public : le plus libéré et débauché de la planète ! L'argent coule à flot dans les sacs des mafiosi. Le contrôle est nettement moins ferme ici qu'ailleurs, les agences sont plus lestes et serrent moins la bride sur le cou de leurs administrés. Petit à petit une nouvelle école de jazzmen prend le relais parmi lesquels un courant cherche à explorer et expérimenter le genre plus profondément : en marquant moins le swing et en bouleversant la manière de jouer les harmoniques, en se montrant plus agressifs. Cette forme de jazz moins orientée vers le divertissement, plus intellectuelle (d'une certaine manière) n'était pas vraiment du goût du public habituel des clubs underground et fût très vite cataloguée, par des Scarpulazzi et Tattaglia peu enclin à se pencher sur le côté philosophique de la chose, comme une plaie pour les affaires (on lui imagine très bien un public issu de la marge ou des très hautes sphères intellectuelles). Après 1950, ce style fût dénommé bop (ou be-bop). Une légende veut que le soir où l'arrangeur (et chanteur) Billy Eckstine présenta ce style dans un club de Blue City, personne ne se soit levé de sa chaise, personne n'ait dansé et que l'auditoire, partagé entre malaise et stupeur admirative, n'ait pas dépensé un seul sou. À la fin de la soirée, son cachet lui fut réglé à coup de battes de base-ball par les hommes enragés d'un certain Tito Scarpulazzi. Pendant de longues minutes, les musiciens de l'orchestre purent entendre les « bop » sourds des bâtons de bois rebondissant sur le corps du musicien.

Les partisans du be-bop ne jouent, dans la quasi-totalité des cas, que lors de jam-sessions plus ou moins clandestines, cherchant à se dissimuler des oreilles et des yeux des agences et aussi des caïds qui ne veulent surtout pas que le mouvement se développe et vienne détruire tout ce qui a été construit jusqu'ici (du moins tant que la rentabilité du truc n'a pas été prouvée). Les enregistrements bop sont extrêmement rares étant donné que le matériel appartient aux mafiosi. Les seules galettes qui ont put être gravée jusqu'ici sont le fait de musiciens ayant investit de leur poche auprès d'une agence du divertissement peu regardante (on imagine ainsi des administrés de Paradise en possession de bijoux d'une grande rareté pouvant signer leur condamnation aussi sûrement qu'un gadget russe). Par exemple, Johnny Carter, le principal artisan du saxophone be-bop n'a toujours pas été enregistré et vit de l'argent que lui donnent ses amis (ou connaissances). Tous en conviennent, la perte de sa musique serait une catastrophe. Ce qui en inquiète plus d'un vu le caractère du bonhomme, prompt à s'attirer des ennemis et à son imposante consommation d'alcool et drogues diverses.


Notes

  1. Ladite Europe n'est, à cette époque, pas encore l'Europole.
  2. Vous prenez un type plein d'enthousiasme qui ne se sent pas à sa place dans le système, vous l'écoutez dire ses conneries, vous lui filez un peu de blé et il vous pond des bouquins que d'autres barjots vont acheter. Et si votre auteur à des velléités d'indépendance, pas de soucis, avec une jambe cassée il pourra toujours écrire.
  3. 1920 : Cf. LdB pg13